INGENIERIE IVOIRIENNE : L’URGENCE D’UNE INDEPENDANCE TECHNOLOGIQUE

L’un des grands héritages laissés par Félix Houphouët-Boigny, père fondateur de la Côte d’Ivoire, fut sa vision d’une université polytechnique à Yamoussoukro. Il imaginait un établissement capable de former des ingénieurs de haut niveau, dotés d’une solide base en sciences mathématiques et physiques, pour répondre aux défis industriels du pays. L’objectif était clair : permettre à la Côte d’Ivoire de concevoir et de réaliser ses propres ouvrages, marquant ainsi sa maturité technologique et sociale.

Pourtant, plus de 30 ans après son décès, ce rêve semble inachevé. Les grands projets ivoiriens sont majoritairement portés par des entreprises étrangères, notamment chinoises, européennes ou maghrébines. Même si l’université polytechnique de Yamoussoukro a formé de nombreux diplômés, ceux-ci sont souvent cantonnés à des fonctions exécutives dans des multinationales, sans véritable capacité d’innovation.

 

Un état des lieux préoccupant

La Côte d’Ivoire peine à bâtir une industrie indépendante. Les ingénieurs formés localement, au lieu de piloter le développement national, exécutent souvent des tâches techniques dans des projets où les décisions stratégiques viennent de l’extérieur. Les solutions importées ne tiennent pas toujours compte des réalités locales, ce qui fragilise la durabilité et l’appropriation des infrastructures.

La formation polytechnique, bien que rigoureuse sur le plan théorique, manque d’ancrage pratique. Les normes enseignées sont souvent calquées sur des modèles occidentaux, peu adaptés aux contextes climatiques, économiques et matériels de la Côte d’Ivoire. L’innovation locale reste marginale, faute d’une culture de recherche appliquée et d’expérimentation sur le terrain.

Beaucoup de jeunes diplômés choisissent de s’expatrier, attirés par de meilleures conditions salariales et des opportunités professionnelles à l’étranger. Ceux qui restent peinent à trouver des environnements favorables à l’innovation. Cela prive le pays de ressources humaines précieuses, nécessaires à toute dynamique industrielle.

 

Dépendance ou absence de stratégie nationale ?

Le recours systématique à des entreprises étrangères peut être perçu comme une stratégie politique visant la sécurité des projets. Mais à long terme, cela compromet l’émergence d’un tissu industriel local. Sans volonté claire de transférer les compétences et de responsabiliser les acteurs nationaux, la Côte d’Ivoire restera technologiquement dépendante.

À titre d’exemple, la Chine, aujourd’hui puissance industrielle majeure, a connu dans les années 1980 une situation proche de celle de nombreux pays africains : forte dépendance technologique, faible capacité locale de production, ingénierie encore balbutiante. Mais, grâce à une politique déterminée de transfert de compétences, de formation massive d’ingénieurs locaux, et de protection de son industrie naissante, elle a su renverser la tendance. Plutôt que de rester dépendante, elle a exigé que chaque partenariat avec une entreprise étrangère s’accompagne d’un transfert de technologie, d’un encadrement local et de la montée en compétence de ses ingénieurs. Cette stratégie volontariste est aujourd’hui à l’origine de sa position dominante dans de nombreux secteurs, de l’électronique aux infrastructures.

Les entreprises privées ivoiriennes peuvent jouer un rôle clé. En investissant dans la recherche appliquée, elles peuvent générer des solutions adaptées aux réalités locales. L’État pourrait stimuler ces initiatives par des incitations fiscales ou des partenariats public-privé. C’est aussi une piste pour stimuler la création d’industries technologiques endogènes.

Aussi, l’Ordre des ingénieurs en génie civil a un rôle structurant à jouer. Il pourrait favoriser la recherche collaborative entre universités et entreprises, encadrer la mise à jour des compétences, promouvoir l’innovation locale et participer à la création de normes adaptées aux réalités ivoiriennes.

Reprendre en main notre destin technologique

La Côte d’Ivoire regorge de talents, mais peine à créer un environnement propice à leur épanouissement. Il est temps de relancer l’ambition du fondateur : faire de l’ingénieur ivoirien un acteur de transformation. Cela passe par une réforme de la formation, des investissements dans la recherche, le soutien aux startups industrielles locales et une meilleure coordination des efforts entre secteurs public et privé.

Le cas de la Chine démontre qu’aucune nation n’est condamnée à la dépendance technologique. Par une volonté politique forte, une stratégie industrielle claire, et l’investissement massif dans la formation d’ingénieurs innovants, elle a su bâtir son indépendance technique. La Côte d’Ivoire peut s’en inspirer pour tracer sa propre voie, en adaptant ces principes à ses réalités locales

Cette transition exigera du temps, des ressources et une volonté politique forte. Mais elle est indispensable pour lui garantir une souveraineté technologique et industrielle durable, tournée vers l’innovation et l’autonomie.

 

Rédaction : Cédrick ADON

Publication :Cédrick ADON

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